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blog a propos recherche commentaires (5) la guerre contre l’intelligence ii : le neant sous les neons avant toute chose, pardon pour cette longue absence, que justifieraient quelques indiscrétions sur les péripéties de ma vie personnelle qui toutefois n’intéressent personne (même pas moi, c’est dire). comme toutefois je dois la vérité à mes chers lecteurs, dont j’estime désormais le nombre à deux en me comptant moi-même, je vous raconterai prochainement pourquoi j’ai fermé ma gueule, ce qui au demeurant nous a fait un peu des vacances. mais d’abord, un petit retour en arrière pour prolonger le post précédent et, surtout, revenir – bien après la bataille – sur une émission scabreuse de france télévision, à savoir le « jeu de la mort » diffusé le 17 mars dernier (quand je vous disais que j’étais à la bourre). j’ai été tellement frappé de la convergence entre mon billet précédent et la désormais fameuse émission-débat de france 2, montée en forme de simulation et présentée donc sous ce très racoleur titre de « jeu de la mort », que je me dois de revenir un brin dessus en dépit de l’avalanche de commentaires qu’elle a pu susciter alors, et de l’eau qui a coulé sous les ponts depuis. lesdits commentaires, comme de juste, ont été noyés sous les exigences de l’actualité et personne n’a cru bon d’y revenir. c’est compréhensible. rafraîchissons-nous la mémoire. pour rappel donc, france 2 a reconstitué l’expérience de milgram de 1963 en la replaçant non plus dans le contexte d’un face-à-face entre une série de cobayes humains et un personnel scientifique, mais dans celui d’une émission de télé-réalité enregistrée en présence d’un public lui-même « chauffé » par un animateur comme c’est ordinairement le cas. deux sortes de candidats étaient en présence : l’un dans une sorte de geôle individuelle, assis sur un simulacre de fauteuil électrique, l’autre devant un pupitre muni de poignées permettant d’envoyer au premier une série de décharges graduelles allant d’un voltage symbolique jusqu’à 460 volts, c’est-à-dire le maximum également retenu – à 10 volts près – par milgram et son équipe plusieurs décennies plus tôt. le « jeu » – si c’en est un – est par essence le même : on pose au prétendu sujet, en fait un acteur, une série de questions dans le cadre de laquelle toute mauvaise réponse entraîne une sanction, à savoir une décharge envoyée par le participant qui se trouve être, comme on le sait, le vrai sujet d’expérimentation. dans le cas de l’expérimentation de 1963, un simulacre de tirage au sort était organisé afin de déterminer si le participant adopterait le rôle de l’ « enseignant » (tortionnaire) ou de l’ « élève » (torturé). en cas d’hésitation du sujet, le scientifique assistant à l’expérience disposait d’un protocole d’interventions graduelles sous forme d’injonctions orales de plus en plus impératives, allant finalement jusqu’à constituer un ordre pur et simple (« vous devez continuer »). ce rôle était dévolu sur france 2 à la présentatrice tania young, manifestement assez paumée, mais qui (pour cette raison peut-être, ou alors à cause de son patronyme d’actrice porno-soft) présentait le mérite d’une froideur de bon aloi. - ‘faut avouer qu’au début, ça picotte. aux etats-unis, plus de soixante-dix ans plus tôt, l’expérience aboutissait au constat suivant : 62,5% des sujets allaient jusqu’à 460 volts, présentée pourtant comme une décharge léthale. en 2010, dans le contexte reconstitué d’un plateau-télé, ils sont 81%. ce différentiel pousse les organisateurs, et notamment le réalisateur du « jeu » christophe nick, à suggérer que le contexte télévisuel est en quelque sorte plus coercitif encore qu’un encadrement prétendument scientifique, et qu’il exerce un empire plus grand sur le libre-arbitre – jusqu’à l’abolir ou, à tout le moins, jusqu’à annihiler le sens de la morale individuelle. disons-le franchement, l’approche adoptée mérite une belle tombée de critique, voire de bois vert. la science est à peu près absente de « l’expérience » reconstituée de la sorte : il n’y est question ni de psychosociologie, ni de neuropsychologie, pas même au stade du débat. il y aurait, au surplus, beaucoup à dire des résultats comparés. chez milgram, tous les sujets (contactés par voie de petite annonce) avaient approuvé le principe même de l’expérience ; sur france 2, confrontés à la fausse « prod », certains ont franchement renâclé, témoignant d’une assez franche désapprobation ou d’une certaine hostilité (« je dois vous dire que le principe de votre jeu me choque »…) ; et il se peut même que certains aient refusé de « jouer » dès ce stade. par ailleurs, la règle du jeu biaisait d’emblée les implications morales du dispositif : en effet, seule la « victime » avait quelque chose à gagner dans le jeu – en l’occurrence un million d’euros, qu’elle était supposée empocher en fin de processus (les mauvaises langues diraient : qu’il devait empocher mort – réalité simple qui a certes échappé à nombre de candidats). cette ambigüité fournissait d’ailleurs l’un de ses arguments récurrents à la très impavide tania young, laquelle pouvait dire : « il hurle maintenant, mais il vous remerciera dans dix minutes » ( !)… en fait, et sans même parler de rigueur scientifique, il aurait été passionnant de reconstituer non pas une seule mais deux expériences : l’une dans un contexte « scientifique », avec faux labo et faux psychologues, « à la milgram » en quelque sorte ; l’autre sous forme effectivement de plateau-télé, sans modification notable. en pareil cas il aurait été possible de comparer les deux familles de résultats sans céder d’emblée aux polémiques, et sans avoir forcément à se demander si, au cours des soixante-dix dernières années, le sens moral collectif a effectivement dégénéré en occident – conclusion un brin caricaturale sans doute mais qui s’impose assez facilement compte tenu des suggestions accumulées de la sorte. il aurait aussi et surtout été possible de déterminer si « la télé » est plus prescriptive encore, en tant qu’autorité supérieure, qu’une injonction paré de vertu académiques ou scientifiques. malgré tous ces défauts, j’approuve pour ma part cette expérience télévisuelle. je l’approuve pour sa singularité, mais aussi et surtout parce qu’elle traduit deux bonnes nouvelles. la première est que la télévision publique se propose de déclarer la guerre à la télé-réalité. c’est un mouvement intéressant, par lequel je constate en somme que certaines chaînes s’efforcent de choisir leur camp dans la guerre contre l’intelligence que j’ai très sommairement décrite (pour ceux qui ont raté un épisode : allez vous faire… heu… voyez le post ci-dessous). la seconde bonne nouvelle, c’est que ces quelques péripéties soulèvent une vraie et bonne question : où va la téléréalité ? questionnement que je traduirai un peu plus brutalement, mais on est entre nous, par l’interrogation suivante : à force de rendre con, la télé-poubelle rend-elle également immoral ? sur ce dernier sujet, le reportage de france 2 diffusé le lendemain sous le titre « le temps de cerveau disponible » apportait quelques éclaircissements en soulignant la progressivité suivie par les programmes télévisés dans l’exposé des turpitudes individuelles ainsi que dans l’exploitation éhontée du voyeurisme (et parfois du sadisme) des téléspectateurs. ce mouvement, d’après les réalisateurs, remonte non pas au sabordage de l’ortf mais à la privatisation de certaines grandes chaînes hertziennes. a cet égard il faut rappeler que la cinq a commencé à émettre en février 1986 mais que, sans vouloir dédouaner mussol… heu berlusconi, ce dernier a vite été rejoint dans sa funeste entreprise par le sieur hersant, co-actionnaire du groupe gestionnaire à partir de l’année suivante. il est sans doute vrai qu’une manière de continuum a pu relier insidieusement des programmes comme « psy-show » à l’actuelle ferme célébrités en passant par les plateaux de jacques pradel ou les séries bricolées sur un coin de table avec trois intermitte